quarta-feira, novembro 25, 2009

Faire et défaire le genre 2

in Multitudes n°37-38, par Judith Butler

Il existe, bien sûr des avantages à demeurer en deça de toute intelligibilité, si celle-ci est comprise comme le produit d’une reconnaissance dépendant des normes sociales dominantes. Il faut bien dire que si les options qui me sont offertes me semblent détestables, si je n’éprouve pas le désir d’être reconnu/e au sein d’un certain système de normes, le sentiment de ma survie dépendra de la possibilité d’échapper à l’emprise des normes par lesquelles cette reconnaissance est conférée. Il se peut que, de ce fait, mon sentiment d’appartenance sociale soit affaibli par la distance que je prends, mais pour autant, cette distanciation reste préférable à un sentiment d’intelligibilité conféré par des normes qui par ailleurs ne feraient que m’effacer. En fait, pouvoir développer une relation critique vis-à-vis de ces normes présuppose de s’en écarter, de pouvoir en suspendre ou en différer la nécessité quand bien resteraient-elles l’objet d’un désir qui permette de vivre. L’établissement de cette relation critique dépend également d’une capacité, toujours collective, d’articuler une version alternative et minoritaire de normes ou d’idéaux consistants me permettant d’agir. Si je suis quelqu’un qui ne peut être sans faire, alors les conditions pour que je fasse recouvrent en partie les conditions mêmes de mon existence. Si ce que je fais dépend de ce qui m’est fait, ou plutôt, des façons dont je suis "fait/e" par les normes, alors la possibilité de ma persistance en tant que "je" dépend de ma capacité à faire quelque chose de ce qui est fait de moi. Ce qui ne signifie aucunement que je puisse refaire le monde pour en devenir le créateur. Ce fantasme de pouvoir quasi-divin n’est que le refus des façons dont nous sommes constitués, toujours et dès l’origine, par ce qui nous est antérieur et extérieur. Ma capacité d’agir ne consiste pas à refuser cette condition de ma constitution. Si j’ai une quelconque capacité d’agir, elle s’élargit du fait même que je suis constitué/e par un monde social qui ne relève en aucune façon de mon choix. Que ma capacité d’agir soit clivée par un paradoxe ne signifie pas qu’elle soit impossible. Cela signifie seulement que le paradoxe est la condition de sa possibilité.


De ce fait, le "je" que je suis se trouve simultanément constitué par des normes et assujetti à ces normes. Mais il s’efforce également de vivre en maintenant une relation critique et transformatrice avec elles. Ce qui n’a rien de facile, car ce "je" devient jusqu’à un certain point "indéchiffrable". Il est menacé de non-viabilité et de déconstruction totale s’il n’incorpore plus ces normes de manière à rendre ce "je" pleinement reconnaissable. Il faut une certaine rupture avec l’humain pour initier le processus de re-création de l’humain et je risque d’avoir le sentiment de ne pas pouvoir vivre sans une certaine forme de reconnaissance. Mais il est également possible que les termes mêmes qui permettent cette reconnaissance me rendent la vie invivable. C’est de ce point de jonction que la critique émerge, c’est là qu’elle devient une mise en question des termes qui contraignent la vie pour élargir la possibilité de modes de vie différents. Et ceci, non pour célébrer la différence en tant que telle, mais pour établir des conditions plus diversifiées et favorables à la protection et au maintien de la vie tout en résistant aux modèles d’assimilation.

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